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par Thierry Guilabert
« Partant de notre idéal anarchiste, nous déclarons : que tous les membres de cette coopérative de production, enfants, femmes, hommes et vieillards, jouiront d’une égalité de conditions morales et matérielles ». Ainsi est rédigé le 18 septembre 1948, le premier article des statuts de la colonie libertaire d’Aymare dans le Lot.
L’histoire de cette collectivité qui s’étend entre 1939 et 1967 était peu à peu tombée dans l’oubli, il revient à Olivier Hiard de nous la remettre en mémoire dans le livre qui vient de paraître aux Éditions libertaires : Aymare, Une collectivité anarcho-syndicaliste espagnole dans le Lot. Un livre référence, illustré, et particulièrement documenté.
L’histoire débute sur les ruines encore fumantes de la guerre civile. Dès février 1939, le Mouvement libertaire espagnol cherche des solutions pour sortir ses membres des sinistres camps de rétention qui fleurissent dans le sud de la France. Acheter des fermes et créer de véritables contrats de travail pour des exilés est la piste envisagée à Aymare.
La propriété se compose d’une imposante demeure du XVIIe siècle, presque un château, d’une bergerie, et de 120 hectares de bois. Fin juillet 1939, venant du Barcarès et du Vernet, les premiers réfugiés arrivent sur place. Il s’agit de défricher, de s’installer dans des conditions difficiles et sous la surveillance attentive de l’état français.
Durant la guerre, peu de terres sont exploitées, on est dans une économie de survie à la merci de l’occupant, mais fin 1944, au moment où renaît pour les Espagnols l’espoir de renverser Franco, la CNT revient aux commandes de la colonie d’Aymare. Il s’agit d’en faire un lieu de refuge pour les mutilés et les anciens de la guerre. Les conditions sont spartiates et en 1947 seule une vingtaine de personnes vit sur le site. On élève quelques animaux, on cultive quelques arpents, mais la colonie est loin d’être autosuffisante. Elle ne le sera d’ailleurs jamais.
C’est seulement à partir de 1948 qu’Aymare va devenir un symbole du Mouvement libertaire espagnol. À l’initiative d’un nouveau venu, Vicente Sanchez, des terres sont défrichées, ensemencées, cultivées. De véritables statuts organisent la vie à Aymare. Les responsabilités sont assumées de façon collective. Personne ne touche de salaire et la colonie doit subvenir aux besoins des mutilés et malades qu’elle héberge. Olivier Hiard l’écrit : une colonie libertaire et solidaire.
Cette époque dorée où les difficultés, la pauvreté s’effacent devant le bonheur de vivre ensemble, ne va pas durer et à partir de 1955, Aymare va vivre un long déclin à l’image du Mouvement libertaire. Mauvaises récoltes, mauvais investissements, tensions au sein de la CNT sur le financement d’Aymare. Peu à peu le lieu va se vider, longue agonie qui aboutira à la vente du domaine en 1967.(…)